Partie 4 (4) Fin du roman ! (tome I)
(Rappel : début du roman, voir le 28 novembre 2O10 / Tome II prévu pour juin 2011 ! Une annonce sera faite ici-même)
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(minaret-clocher de la mosquée-cathédrale de Cordoue)
Alors elle se mit à m'expliquer son plan dans les moindres détails. Au fur et à mesure qu'elle avançait dans ses explications, je pâlissais. Je finis cette sorte de briefing à moitié évanoui, m'accrochant à la chaise de la cuisine pour ne pas valser à terre. Une sorte de tremblement s'était même emparé de moi. Elle en parlait avec tant d'insouciance que je me demandais si je ne rêvais pas. Pourtant, il allait bien falloir que j'y passe. Son plan paraissait complètement insensé, mais en y réfléchissant bien, il n'y avait aucune autre solution. Marie voulait absolument laisser la police en dehors de toute cette affaire. Elle ne leur accordait pas une once de confiance, même si elle n'était aucunement persuadée de la culpabilité de Sanchez. Après tout, il pouvait très bien aussi se faire manipuler, ce vicelard graisseux.
Vers 19 heures, nous fûmes tous les trois sur le pied de guerre. Olivia m'avait dégotté une tenue "de combat" complètement noire qui m'allait à peu près. Elle glissa le revolver dans sa poche et nous sortîmes. Quand nous déboulâmes chez le médico, on aurait dit qu'il nous attendait. Dès qu'il nous vit, il se coucha à terre de lui-même en prenant un air résigné. Je ne suis pas sûr qu'il reconnût Marie à cause de son nouveau look. En tout cas, il ne manifesta aucune frayeur particulière. Il avait sans doute dû gamberger tout au long des journées depuis leur première irruption, tournant et retournant le problème dans tous les sens pour essayer de comprendre comment des grosses connasses pouvaient connaître un secret aussi bien gardé et partagé par si peu de gens et surtout inventer qu'il n'y avait pas de cadavre dans le cercueil. S'il avait eu davantage de courage, il serait bien allé vérifier que le corps était toujours enterré au cimetière, mais vieux et fatigué comme il était, la perspective de creuser de nuit pour le déterrer ne l'enchantait guère et il avait laissé tomber. De toute façon, ces minettes avaient l'air d'en savoir trop, en tout cas suffisamment pour le piéger. Il n'avait plus qu'à attendre la suite des évènements en se collant le plus souvent possible devant son écran d'ordi avec ses chers petits pour passer le temps. Nous le ligotâmes, le bâillonnâmes et le couchâmes sur son lit, par pure compassion. Nous aurions tout aussi bien pu le laisser saucissonné à terre. Malgré les précautions que nous devions prendre et contrairement à lui, nous ne nous déparions pas d'une certaine humanité. Il aurait mérité qu'on le bute dans l'instant et ce n'aurait été que justice mais les deux femmes tenaient à agir proprement. Quant à moi, j'étais incapable de faire du mal à une mouche, sauf avec mon oud. Il faut reconnaître que la circonstance était exceptionnelle. Nous l'abandonnâmes à son sort, sachant que nous reviendrions le libérer plus tard. En arrivant au bâtiment qui cachait la salle du chapitre dans son souterrain, pile à l'heure qui était réservée au médico, comme prévu les nonnes nous tournaient le dos. Elles s'affairaient à je ne sais quoi, ou faisaient semblant. Marie passa devant le comptoir et moi je fis comme Sofiane me l'avait expliqué, je me faufilai en marche de canard. Olivia resta dehors à garder le scooter avec lequel nous comptions bien nous échapper par les rues étroites de la ville historique, une fois le plan réalisé. L'escalier paraissait encore plus raide que je ne l'avais imaginé. Je faillis m'écrouler sur Marie qui ouvrait la marche. Comme je la fermais évidemment, je n'arrêtais pas de jeter un œil vers le haut pour constater à quel moment nous allions nous faire repérer et c'est en me retournant une fois de plus que je dégringolai sur elle. Mais Marie était solide et concentrée. Elle ne bougea pas d'un pouce. Je repris mon équilibre et elle se remit à descendre. Arrivés en bas, elle repéra vite la porte qu'Olivia lui avait indiquée et nous nous y engouffrâmes. Le plus facile était fait. Nous étions planqués dans la tanière du loup. Il nous fallait maintenant attendre la meute. C'était le moment du plan le plus délicat pour ne pas dire démentiel. Je me répétais sans arrêt les gestes que j'aurais à faire tout en me lamentant en pensant que cela ne se passerait certainement pas comme prévu. Le pire était que je voyais bien que Marie ne tremblait pas, elle. En tout cas, elle n'en laissait rien paraître. Elle se permettait même le luxe de me sourire pour m'encourager alors que j'aurais tant voulu être partout ailleurs excepté dans cet endroit. Mais j'y étais, à ses côtés, et elle me souriait. Elle devait être inconsciente du danger où c'était sa façon à elle d'y faire face. Selon Olivia, le gars suivant devait passer devant notre porte pour entrer dans la pièce d'à côté. On allait entendre le léger grincement des dernières marches d'escalier qui nous avertirait de son arrivée. Marie avait pris soin de ne pas fermer tout à fait notre porte pour mieux entendre et pouvoir l'ouvrir rapidement. Le grincement ne se fit pas attendre, suivi des pas s'engageant dans le couloir. Juste avant d'arriver devant notre porte, ils s'arrêtèrent. Que se passait-il ? Le type avait peut-être remarqué que notre porte n'était pas fermée comme elle devait l'être. Qu'allait-il faire ? Mes muscles étaient tendus à l'extrême et mon estomac noué comme un chêne centenaire. Marie s'écarta légèrement de la porte et me fit signe d'être prêt en silence. Ce silence durait une éternité. Le Pénitent hésitait. Il finit par se décider à pousser légèrement la porte, sans doute intrigué par cette anomalie. Alors Marie l'empoigna brusquement par le poignet et le tira violemment de toutes ses forces vers l'intérieur. Il ne comprit pas ce qui lui arrivait, tenta de s'agripper à la poignée mais je l'attrapai par l'autre bras. Quand il passa entre nous deux, Marie lui asséna un terrible coup de crosse sur la nuque. Le corps s'écroula sur le sol dans un bruit mat. Nous le ligotâmes et bâillonnâmes en un temps record (nous étions devenus des spécialistes) puis Marie me fit signe et je partis rapidement me réfugier dans la pièce d'à côté. Elle referma bien sa porte cette fois et moi la mienne. J'allumai. La pièce était meublée d'un prie-Dieu et d'une petite garde-robe dans laquelle se trouvait le déguisement du Pénitent : la tunique écarlate, la cagoule conique et la croix de bois. Une bible ouverte déposée sur un porte-livre permettait de lire pour patienter. Je m'habillai à la hâte de peur de ne pas être prêt quand la lumière clignoterait. Je m'agenouillai face à la lampe sur le prie-Dieu, haletant et tremblant de tous mes membres. Je crois que s'y j'avais pu me voir dans un miroir en Pénitent Rouge, je me serais fait une peur bleue. J'étais parfaitement conscient de participer à une action insensée. Depuis le début, je m'étais persuadé qu'il n'était pas possible que nous réussissions et à chaque étape, je m'attendais au coup d'arrêt. Jusqu'ici pourtant, tout s'était à peu près passé comme Marie l'avait prévu. A présent que je n'avais plus son sourire engageant sous les yeux, je peinais à les garder ouverts en face des trous de la cagoule. Je suais à seaux. Mon dos et mon slip étaient trempés. Je n'allais pas tarder à m'écrouler lamentablement. Pourtant, chaque seconde qui passait faisait que je tenais. Je résistais pour Marie, pour Sofiane et bien sûr aussi pour moi, pour pouvoir un jour rejouer de mon oud vénéré et reprendre mes chroniques à Liberté. Mais pourquoi m'étais-je laissé embarquer dans une pareille galère ? L'heure n'était pas propice à ce genre de question vaine. A force d'écarquiller les yeux pour fixer cette lampe qui s'évertuait à rester éteinte, ils commencèrent à se brouiller. Je faillis enlever la cagoule puis me ravisai me disant que je n'aurais pas le temps de la remettre ou bien que perturbé par la peur, je l'enfournerais de travers. Et mon supplice continua. Je pensai à Marie qui en avait subi dix fois plus que moi et qui souriait néanmoins. J'eus presque honte de ma faiblesse. A ce moment précis, l'ampoule clignota. L'appel silencieux retentit comme une alarme dans ma tête et chaque clignotement y provoquait un vacarme d'enfer. J'entendis les portes s'ouvrir. J'inspirai autant que je pus, me levai pensant que ma dernière avait sonné et sortis. Les cônes écarlates oscillaient dans l'étroit couloir en un carnaval baroque et taiseux. J'intégrai la file. Il était prévu d'essayer de se placer en derniers pour prendre en entrant dans la salle du chapitre les places restées vacantes. Histoire de diminuer les risques d'être démasqués. En suivant la file de Pénitents rouges, je réalisai soudain que je ne pouvais plus reconnaître Marie. La panique envahit mon esprit. Je finis par me contrôler au bout d'un effort surhumain tout en suivant lentement la file indienne. "Attention à la porte", n'arrêtai-je pas de me répéter. "Il faut se baisser pour ne pas heurter la pointe de la cagoule au chambranle". Je faillis rentrer dans le postérieur de mon prédécesseur quand il se plia en deux en reculant légèrement pour passer cette foutue porte sans encombre. Même si c'était Marie, surtout si c'était elle, je crois qu'elle n'aurait pas du tout apprécié que je la heurte de la sorte. A chaque pas en avant, j'avais le sentiment qu'un liquide tiédasse s'écoulait le long de mes jambes et venait souiller mes souliers. Pourtant, dès que je franchis la porte, toute peur me quitta instantanément et mon corps tout entier se glissa dans la peau de l'homme d'action intrépide ou inconscient. A ma grande surprise, il restait deux sièges libres. Je ne pouvais pas avoir l'air d'hésiter et me dirigeai d'un pas assuré vers le plus éloigné. Le grand Maître attendait que tous les membres se fussent placés. Chacun demeurait debout devant son siège. Alors il donna le signal de s'asseoir et tous s'assirent d'un même mouvement. Le silence était total sous la voûte de briques antiques, à part quelques toussotements et autres raclements de gorge qui résonnaient. Pour une fois, je pouvais observer sans en avoir l'air, chaque œil écarquillé derrière son trou de serrure. Impossible de percevoir où se trouvait Marie. Le grand Maître lui se trouvait pile en face de moi, selon Olivia, un peu caché par le fauteuil d'exécution qui trônait immuable au centre de la salle. Les membres se tenaient immobiles le dos bien droit appuyé contre le dossier de bois raide qui s'élevait au-dessus de leur tête. Les sièges étaient impeccablement alignés contre les murs et entouraient la pièce. Il m'a semblé en compter une vingtaine par côté. Aucun signe de nervosité ne défrayait la chronique du silence. Je n'avais plus qu'à attendre que Marie déclenchât la suite du plan. J'étais paré. Toute velléité de panique m'avait quitté, envolée avec l'adrénaline provoquée par l'entrée en action. J'étais entièrement concentré sur ma tâche à venir. Nous n'avions d'autre choix que de réussir, sinon nous n'en sortirions pas vivants, mais ce n'était pas du tout la pensée qui me préoccupait. Tous mes sens étaient aux abois. J'étais prêt à intervenir à la suite de Marie qui ne saurait tarder à se manifester. Je sentis mes mains se crisper sur les bras du fauteuil en bois sculpté, dont je pouvais tâter les motifs du bout des doigts, quand un protagoniste se leva soudain, raide comme une bougie éteinte planté devant son siège, absolument immobile, jusqu'à ce qu'un imperceptible mouvement du grand Maître ne l'incite à se déplacer. Etait-ce Marie ? Impossible de le savoir. D'un pas si lent que l'atmosphère se chargea brusquement d'une ambiance électrique, ou n'était-ce que le fruit de mon imagination stressée, le Pénitent rouge s'approcha du grand Maître et se figea devant lui, à un mètre à peu près, puis s'inclina. Pas trop toutefois pour éviter que la pointe de sa cagoule ne l'éborgnât. L'autre répondit à sa salutation d'une légère inclinaison de tête. Alors il s'approcha à le toucher, se pencha à son oreille et se mit à lui chuchoter des sons inaudibles des autres membres. C'était drôle de voir ces deux chapeaux coniques qui s'escrimaient dans l'air pendant qu'ils se parlaient. Mais je n'étais pas là pour rigoler. Je trouvai leur parlotte interminable. Je ne voyais pas ce qu'ils pouvaient bien se raconter. A moins qu'il nous ait repérés et qu'ils concoctassent un plan pour nous confondre et nous attraper sans dévoiler les autres membres. Je frémis à cette idée mais restai parfaitement concentré sur ce que j'allais avoir à faire s'ils nous en laissaient l'opportunité. Je priai quelqu'un dans le ciel pour que Marie enclenchât sans plus tarder la phase suivante. Je m'efforçais de ne pas tapoter du bout des doigts sur l'accoudoir en bois. Mon corps brûlait d'agir, prêt à bondir tel un fauve dans cette arène grotesque où des polichinelles arrogants prétendaient diriger le monde entier. La prétention de l'homme a peu de limite sinon celle que lui opposent d'autres hommes. Le clown écarlate regagna sa place, raide comme une momie sur roulettes. Alors un autre Pénitent rouge se dressa tel un if. J'étais aux aguets n'étant pas sûr si c'était Marie. Le même manège se répéta. Je me suis dit qu'on allait y passer la nuit. On n'avait pas que ça à faire et puis Olivia allait perdre patience à nous attendre. Si ça se trouvait, de peur de se faire repérer, elle serait barrée quand on sortirait, nous abandonnant dans la mouise. Puis je blêmis d'un seul coup à la pensée que Marie était peut-être restée dans la petite pièce où elle s'était changée. J'étais perdu. Le ligoté avait pu se détacher, l'avait coincée et ligotée à son tour et c'était ce qu'il était en train de raconter au grand connard. J'étais fait. Nous étions faits. Plus moyen de me sauver. C'était Marie qui avait le pistolet, si tant est que j'eus été capable de m'en servir. Pour sauver sa peau, on ne sait pas de quoi on est capable. Marie n'arrêtait pas de me le répéter. Il était peut-être encore temps de me lever brusquement et de me sauver en courant. J'avais peu de chance de réussir avec les deux sbires assis juste de chaque côté de la porte. D'ailleurs, la position de ces deux là compliquaient drôlement la tâche que Marie nous avait fixée. Brusquement, un autre Pénitent se leva. Je sus sur le champ que c'était Marie. Ne me demandez pas pourquoi ? Encore aujourd'hui, je m'interroge. Mes mains se crispèrent aux bouts arrondis du fauteuil, autant par stress que pour mieux bondir. Elle fit la courbette lentement comme les autres. Mais au moment de se relever, elle se précipita en avant et arracha les cagoules des trois protagonistes qui se trouvaient juste devant elle, le grand connard et ses alcooliques. Au même moment, je sautai de mon fauteuil, m'appuyai sur la chaise d'exécution et mitraillai de mon appareil photo les têtes découvertes et stupéfaites. Ils grimaçaient comme des pantins désarticulés. Pendant que je les photographiais, Marie s'était décoiffée et avancée vers la porte en brandissant son revolver à bout de bras, les mettant tous en joue les uns après les autres et en hurlant (en castillan évidemment, version élaborée par Olivia et répétée avec elle), "le premier qui bronche je le bute". Pour faire plus forte impression, elle tira même un coup en l'air. La balle ricocha sur le plafond de pierre et alla se ficher dans un dossier en bois à deux millimètres d'un type dont on ne sut jamais quelle tête il fit. Ceux qui avaient commencé à se lever poussés par l'effet de surprise se rassirent prestement et prudemment. Tous en profitèrent pour regarder les têtes défaites des dirigeants du chapitre de Cordoue. L'instant était plutôt hilarant sauf que nous n'étions pas spécialement là pour nous marrer. Nous n'en avions guère le temps. Toute l'action n'avait pas excédé quelques secondes. Nous avions nous aussi leurs faces béates en boîte. Je passai devant Marie m'étant également débarrassé de mon couvre-chef encombrant et me mis à courir dans le couloir, couvert par elle. Elle leur cria avant de claquer la porte que "au premier qui s'aventure à l'ouvrir, ma balle se fichera en plein dans son cœur" et elle ajouta pour le fun (et toujours en castillan) "j'exècre tous les Pénitents rouges de la terre". Nous étions déjà occupés à grimper les escaliers quand nous entendîmes des pas prudents sortir de la salle maudite. Je glissai sur ma tunique, je sais, ce n'était guère le moment mais ce n'est pas facile de monter un escalier en courant engoncé dans ce genre d'accoutrement, qui tombait jusqu'aux pieds. Nous perdîmes du temps à tenter de nous en arracher au milieu de l'escalier. A la première vision d'une tête apparaissant prudemment en bas, Marie sans hésiter tira. La porte se vida comme par enchantement. Ils ignoraient tous qu'elle n'avait jamais appris à tirer. Débarrassés de nos costumes de carnaval, nous gravîmes les marches quatre à quatre. L'heure n'était plus aux tergiversations. Quand nous débouchâmes à l'accueil, une troupe de bonnes sœurs voilées prétendait nous barrer la sortie, sans doute prévenue par un portable. Un nouveau coup de feu partit juste au-dessus de leurs cornettes et ces corbeaux de malheurs s'égaillèrent dans l'établissement laissant le champ libre à notre fuite éperdue. Olivia nous attendait moteur en marche. Marie sauta derrière elle et je me calai en troisième position. Ce fut la première et la dernière fois que je sentis le corps de Marie frissonner à l'unisson du mien. "Surtout ne perd pas l'appareil" me hurla-t-elle dans la pétarade du moteur. Olivia fonça à travers les ruelles de la Juderia en klaxonnant comme une cinglée. Sans casques, à trois sur l'engin et à cette allure, nous allions bientôt avoir toutes les polices de Cordoue à nos trousses. Ce qui n'avait pas la moindre importance puisqu'Olivia nous amenait justement au commissariat où officiait Sanchez. Nous y déposâmes Marie et nous repartîmes à fond les manettes, Olivia et moi jusqu'à sa maison. Marie gravit en courant les marches bousculant les plantons et courut jusqu'au bureau de Sanchez. Elle s'y précipita sans frapper. Eberlué par cette intrusion, Sanchez se leva brusquement et quand Marie lui balança, "je suis Marie Laffargue", il en retomba assis sidéré. Arrivés à la maison d'Olivia, je sautai sur son ordinateur, scannai les photos (elles étaient magnifiques de précisions. on y voyait la tête hallucinée du malhomme de la mosquée avec à ses côtés les bajoues grassouillettes du cardinal de Cordoue en grand Maître moyenâgeux enveloppé dans son accoutrement de Pénitent écarlate dont la tête abasourdie avait pris la même couleur, le troisième était inconnu au bataillon), et les envoyai sur le champ à mon directeur de journal accompagné du meilleur article que j'aurai jamais écrit de toute ma carrière. Il n'y a pas à dire, je n'étais pas peu fier de moi. Bon, de nous. Marie avait été parfaite, comme à son accoutumée.
Dans le bureau de Sanchez, elle savourait ce moment extraordinaire. Le commissaire était livide et en bafouillait de terreur. Ce n'est pas tous les jours qu'on cause à un fantôme. Cette affaire, qu'il avait contribuée à enterrer, lui revenait maintenant par bribes entières assaillir son cerveau, réveillé par ce spectre sorti de terre. Les plantons arrivèrent sur ces entrefaites dans la foulée de Marie et frappèrent à la porte du commissaire. "Tout va bien", leur cria-t-il, "laissez-moi seul avec cette personne et qu'on ne nous dérange pas".
Il fixa Marie de ses yeux livides, bouffis d'alcool, de graisses et de mauvaises pensées.
- Marie Laffargue !
- En personne, Sanchez.
Il sortit une fiole de whisky d'un tiroir de son bureau et s'envoya une rasade. Il faillit en proposer à Marie mais se ravisa. Il se redressa un peu dans son fauteuil où il s'était tassé et s'éclaircit la gorge.
- Vous n'êtes donc pas morte !
- On dirait !
- Mais comment avez-vous fait ? Ce crétin de médecin légiste m'a assuré qu'il n'y avait plus rien à faire pour vous sauver ?
- Et vous l'avez cru sans sourciller !
- Ben…la dernière fois que je vous ai vue, vous aviez vraiment l'air d'avoir été étranglée par votre …par ce…par ce type…
- Ce type comme vous dites n'est pour rien dans cette affaire et il paye pour les autres. Ce sont vos amis qui m'ont assassinée, Sanchez, et vous le savez parfaitement bien !
Il encaissa sans broncher et s'enfila une nouvelle dose d'alcool.
- Qu'est-ce que vous me chantez là !
- La pure vérité. Vous avez fermé les yeux parce que sans doute vous faites aussi partie du Pouce de Dieu?
- J'ignore de quoi vous parlez !
- Je parle de mes assassins !
- Je ne comprends rien ! Pour moi, il a toujours été clair que votre assassin, en tout cas celui qui a tenté de vous assassiner n'est autre que ce Sofiane Saïdi.
- Sofiane Saïdi est pour moi plus qu'un ami ! Ce que vous dites n'a aucun sens et vous le savez mieux que quiconque.
Le commissaire suait comme un grassouillet qu'il était. Il n'arrêtait pas de s'éponger le front avec de larges mouchoirs de coton. Alors que Marie le fixait sans arrêt, son regard ne cessait de la fuir. Il s'octroya une nouvelle rasade, renversant sa tête en arrière, puis brusquement sortit un flingue d'un tiroir et le déposa juste devant lui sur le bureau. Sur le moment, Marie ne broncha pas. Elle se rapprocha et se pencha vers lui. Sanchez ne fit pas un geste en direction de son revolver.
- Je suis sûre que vous savez qui a tenté de m'assassiner.
- Comment le saurais-je ? Je n'étais pas présent que je sache ! Vous n'avez donc pas vu le visage de votre assassin ?
- Vous êtes complice. Vous avez fermé les yeux ! Vous n'avez rien vérifié. Vous m'avez laissée me faire enterrer vivante, dans le coma ! Vous payerez pour tout ça.
Sanchez soufflait comme s'il était en train de courir un marathon. Il s'épongeait sans arrêt et sans succès. Des gouttes tombaient sur le bureau comme s'il en pleuvait. Il empoigna la crosse du revolver et commença à le caresser comme s'il était sensible à son toucher. Marie lui sourit.
- Et comment allez-vous prouver que je suis complice ? J'ai trop fait confiance d'accord, mais ce n'est pas un crime, juste une faute professionnelle peut-être et encore. C'est pas mon boulot de prendre le pouls des cadavres sur lesquels j'enquête pour constater qu'ils sont vraiment morts.
- Ecoute Sanchez, c'est pas la peine de se la jouer (Marie se pencha à nouveau vers lui avec un sourire compatissant et changea soudain de ton comme si elle parlait à un enfant), je sais tout, je sais bien que tu ne fais pas partie du Pouce de Dieu, mais je sais aussi qu'ils te tiennent et je sais même comment, c'est toujours assez facile à trouver chez les hommes, c'est soit une question de pouvoir, soit d'argent soit de sexe, ou les trois à la fois. Dans ton cas, ce serait plutôt le sexe et les enfants, hein, Sanchez, tu craques pour les chérubins, ces petits innocents aux culs bien tendus…
Sanchez ouvrait des yeux écarquillés. Il soufflait comme si son cœur allait lâcher. On aurait dit qu'il était près de clamser. Sa tignasse dégoulinait de sueur et collait à son crâne. Un léger tremblement le secouait dans son fauteuil. Il tripotait machinalement son flingue l'air complètement égaré en proie à une tempête crânienne d'une violence insoutenable. Il se savait perdu. Dans une sorte de brouillard, il percevait les lèvres de Marie en train de remuer sans arrêt. Ce n'était même plus une femme, mais un fantôme revenu de l'au-delà pour lui faire payer ses pulsions du diable. Il le savait depuis le début : un jour où l'autre il devrait solder ses faiblesses. Il n'était pas comme le médico qui l'entraînait dans l'enfer des délices interdits, puis allait s'abîmer en contrition dans sa communauté intégriste sous la coupe de ce cardinal maléfique. Le cardinal se servait d'eux. Un commissaire et un médecin légiste, c'était exactement ce dont il avait besoin pour couvrir ses forfaitures. Sanchez ne comprenait pas comment ce fantôme était apparu dans son bureau, ou il ne le comprenait que trop bien, c'était le messager qui lui signifiait qu'il ne pouvait continuer ainsi sur cette voie dépravée sans rendre des comptes. Ce jour était arrivé et voilà que cette bouche qui lui souriait et lui parlait comme à un gosse était l'envoyée du diable. Elle avait exactement l'allure d'une créature de Satan. L'heure du départ venait donc de sonner pour son âme damnée. Ses lèvres se mirent à trembler. Il plissa les yeux comme si le visage de Marie dégageait une lumière qui l'éblouissait.
- Et Lataille ?
- Quoi Lataille ?
Sanchez semblait complètement perdu dans ses pensées.
- Ben oui ! C'est quoi son rôle là-dedans ? Pourquoi a-t-il enfoncé Sofiane ?
- Lataille ? C'est un pourri comme le cardinal (lâcha Sanchez du bout des lèvres). Il dirige un nouveau chapitre à Toulouse. Ils veulent étendre leur société à la France. C'est lui qui m'a guidé dans toute cette affaire. Chaque jour il me disait ce que je devais faire. C'est lui qui a eu l'idée de balancer le cadavre du musulman français à la Garonne. C'était un plan diabolique. C'est vous qu'il visait en fait. Il ne s'est servi de Saïdi que par facilité, comme un bouc émissaire idéal.
- Il a bien failli réussir !
Brusquement Sanchez dirigea le pistolet en direction du front de Marie. Il le tenait des deux mains et tremblait comme un lustre lors d'un tremblement de terre japonais. Marie le fixait droit dans les yeux sans prêter attention au canon qui la visait.
-A l'heure qu'il est, les photos du cardinal, de son bras droit et du médico sont en possession de mon journal en France. Tout est près pour le grand déballage et le scandale. Si tu veux ajouter un meurtre supplémentaire à tous tes crimes pour alourdir tes années de prison, c'est le moment.
Alors en un rien de temps, Sanchez retourna le revolver, le fourra dans sa bouche et se tira une balle qui lui traversa le cerveau pourri et alla se ficher dans le mur derrière lui. Le sang gicla. Marie n'avait pas bougé d'un pouce et fut éclaboussée. Elle n'avait rien perdu de la scène. Sous l'effet de la projection de son crâne par l'impact de la balle, Sanchez s'affala sur le fauteuil et le pistolet tomba sur le sol. Juste après la détonation, les plantons entrèrent en trombe dans le bureau de leur chef. Ils arrêtèrent Marie sur le champ et l'enfermèrent en cellule. Mais la vision de la dernière scène du commissaire Sanchez ne laissait aucun doute sur sa fin. Il fut plus difficile à Marie de prouver son identité tant sa résurrection semblait invraisemblable. "Allez donc faire un tour du côté du cimetière" leur conseilla-t-elle.
De mon côté, rien n'était pas gagné. Le directeur était tellement abasourdi que j'ai dû batailler pendant plus d'une heure au téléphone pour qu'il se rendît à l'évidence. Marie était vivante mais je ne pouvais pas la lui passer puisque la police cordobésienne l'avait mis au gnouf. J'en ai eu tellement marre à un moment donné que je l'ai même menacé d'envoyer l'article et les photos à la concurrence. C'était un peu exagéré de ma part car je ne l'aurais pas fait. C'est juste pour dire à quel point la conversation fut ardue. Non seulement il ne comprenait pas comment ni pourquoi Marie s'était ressuscitée au bout d'une longue période de silence alors qu'il en avait fait son deuil depuis belle lurette. "Elle aurait pu me tenir au courant quand même, non ?" Et puis surtout, ces trois gueules de Pénitents rouges décônés ne l'inspiraient guère. J'avais beau lui crier que c'était une dangereuse secte intégriste, comme il n'en avait jamais entendu parler, il ne pouvait accepter qu'elle surgît du néant et que c'était le scoop sur lequel travaillait Marie depuis fort longtemps. Il n'arrêtait pas de me répéter : "Ecoute Hocine, t'es bien gentil, mais t'es pas un vrai journaliste, en tout cas pas un reporter. D'accord, j'ai eu tort de t'envoyer au procès, mais ton tort à toi, c'est de t'obstiner, tu devrais plutôt laisser tomber, crois-moi". A bout de nerfs et d'arguments, je lui conseillai de téléphoner au commissariat de Cordoue pour les convaincre de le laisser parler à Marie. Je hurlais dans le combiné d'Olivia, qui me regardait estomaquée tellement j''étais excédé. Qu'il était loin mon oud ! Nous avions quand même risqué notre vie dans cette traque de la vérité et nous en rapportions une nouvelle incroyable, et en exclusivité, mais ce foutu directeur chipotait sur des détails. Monsieur ne voulait pas qu'on lui mît dans les dents qu'il s'en prenait aux cathos plutôt qu'aux musulmans. Et je n'avais de cesse de lui répéter, mon vieux, à chacun ses intégristes, à chacun de balayer devant sa porte. Et dans l'emballement de la discussion, je ne sais même pas comment moi, piètre joueur de oud et médiocre chroniqueur musical dans son journal, j'ai fini par lui balancer que Bush et ses compères n'avaient rien compris à cette attaque foudroyante sur les tours jumelles. Il est resté sans voix puis m'a balbutié, mais qu'est-ce que tu me chantes ? Ben oui, c'était plus un geste de propagande interne horriblement retentissant destiné aux populations des régimes musulmans, "admirez les gars ce qu'on est capable de faire, vous allez voir ce que vous allez voir si vous ne revenez pas à notre vision du monde intègre et pure". Bush et consorts ont foncé là-dedans comme un taureau sur un drapeau rouge sans comprendre que l'enjeu n'était pas l'Amérique mais la prise de pouvoir au sein des pays musulmans. Je le sentais s'énerver. Ecoute-moi jusqu'au bout pour une fois, je lui hurlais ! La meilleure preuve de ce que j'avance (j'étais en transe et une voix en moi parlait à ma place sans que je pusse l'en empêcher), c'est que les 99% des victimes de ces attentats sont des musulmans". La réticence du directeur avait eu le chic de me faire sortir de mes gonds. Cela m'arrive plutôt rarement, il est vrai, mais c'est alors spectaculaire. Et puis cette voix en moi s'est tue brusquement, me laissant en plan. Je ne savais plus où me mettre. Le fait était que j'avais craché un morceau beaucoup trop gros pour moi. La société est ainsi faite qu'il faut rester planqué au sein du courant de pensée terrassant (la pensée dominante ou unique) sinon on est immédiatement roué de coups. Il traîne des tas de chiens de garde partout qui ne ratent aucune occasion de mordre férocement en échange de quelques os à ronger. Les victimes ont tout à perdre, isolées comme elles sont, bataillant pour la vérité vaine. "La vérité finit toujours par triompher" a pris un pays arabe comme emblème, j'ai diplomatiquement oublié lequel. Ils auraient dû écrire en exergue, mais ce triomphe se paie très cher. Ils le paient d'ailleurs très cher.
Le directeur a fini par céder, il a téléphoné à la Guardia Civil. Après s'être fait tirer l'oreille et surtout avoir consulté leurs autorités, ils lui ont passé Marie. Ce fut un moment épique. Il ne pouvait plus nier qu'elle était bien ressuscitée mais n'avala pas pour autant son scoop sur la secte intégriste catho. On a beau penser ce qu'on veut de l'Eglise, elle reste une institution respectable dans le paysage occidental et un pilier de sa civilisation. Elle a été de toutes les conquêtes et de toutes les colonisations, tapie derrière le glaive, jusqu'au jour où elle s'est fait rouler dans la farine avec cette histoire aberrante de la terre qui tournerait autour du soleil. Elle s'imaginait juste Dieu dans les cieux en train de régner sur ses créatures sur la terre, son petit jardin privé, avec tout le reste bien sûr tournant autour pour agrémenter le séjour. Marie ne s'est pas retournée dans sa tombe en entendant cela, puisqu'elle n'y était pas, mais les oreilles lui en tombèrent par terre. Après tant de reportages qu'elle avait brillamment fournis au journal, en exclusivité et souvent au péril de sa vie, c'était comme s'il ne lui faisait plus confiance, comme si elle demeurait morte à ses yeux. Ainsi Marie mourait pour la deuxième fois. Au bout de tractations interminables, il consentit à produire les photos en édulcorant mon texte sous le titre "les autorités religieuses de Cordoue jouent aux Pénitents rouges". C'est le genre de titre qu'ils affectionnent à Liberté. Il n'y était plus question du Pouce de Dieu qui n'existait pas à ses yeux. Qui donc avait dans ces conditions tenté d'attenter à la vie de son reporter ? Le directeur n'en savait rien. Mais jusqu'à preuve du contraire, il y avait un coupable qui purgeait sa peine en prison pour cette raison.
Avant de relâcher Marie, la Guardia Civil procéda à l'exhumation du cercueil vide et exigea un test ADN pour prouver son identité. Quand elle proclama haut et fort que Sofiane Saïdi n'était pas celui qui avait tenté de l'étrangler, la justice fut bien embarrassée, d'autant que Marie n'avait aucun nom de remplacement à proposer. Certes, le condamné n'avait jamais avoué le meurtre mais son silence valait aveu. Et Marie ne se souvenait de rien jusqu'au moment où elle se réveilla dans le cercueil placé à la morgue. Et par malheur, si elle entendit, elle ne vit rien. Elle avait bien sa petite idée et le seul qui aurait éventuellement pu l'aider, venait de se suicider. Le temps pressait sans qu'elle pût donner en pâture un coupable puisqu'elle ne pouvait avancer aucune preuve, même pas un témoignage direct. Le soit disant scoop sans la dénonciation du Pouce de Dieu s'avéra un flop. Les photos des adeptes des Pénitents rouges pouvaient tout au plus faire sourire sinon laisser indifférents. L'évêché déclara que le cardinal préparait les processions de la semaine sainte en officiant dans son groupe de Pénitents et l'affaire fut enterrée.
Dans sa cellule, Sofiane n'avait été confronté à aucune information sur la réapparition de Marie. Il avait petit à petit repris pied et s'était mis à lire et étudier pour s'occuper l'esprit. Quand on le fit venir au parloir et qu'il se retrouva nez à nez avec celle qu'il avait "assassinée", ce fut un moment remarquable, de ceux qu'on ne vit qu'une seule fois dans une vie et qu'il est impossible d'oublier. L'homme avait mûri et la femme beaucoup changé. Sofiane la reconnut pourtant au premier coup d'œil. Tout se passa à travers leurs regards. Ils se contemplèrent longuement sans rien dire. Le moment était tellement fort à vivre que n'importe quel mot lâché aurait pu le gâcher. Sofiane avait le cœur solide et les épreuves qu'il venait de surmonter l'avait encore consolidé. Marie fut la première à sourire et ce sourire partit tel un plissement des yeux qui s'écoula jusqu'aux commissures des lèvres. En réalité, il n'y avait pas grand-chose à dire. Le seul fait de se retrouver ainsi face à face remettait toute chose à sa juste place pour chacun d'eux. Ils se tinrent donc la main en se regardant intensément. Le courant passait et les allumait. Quand Sofiane dut réintégrer sa cellule, elle lui dit simplement qu'ils se reverraient bientôt au procès. Il acquiesça.
La justice entama ce nouveau procès à reculons. L'assassin n'était plus l'assassin aux dires de l'assassinée qui n'était plus assassinée. C'est la seule chose qui parut claire. Pour le reste, Marie écopa de six mois de prison avec sursis pour s'être dérobée à la justice pendant le temps où elle était officiellement morte. J'en reçu quatre pour complicité. Olivia passa au travers pour la raison qu'elle ignorait tout de l'histoire. Il y fut question de libérer Sofiane au bénéfice du doute. On aurait dit que le juge restait persuadé qu'il était coupable et Marie complètement cinglée de protéger son amant meurtrier. Il paraît que les juges font souvent face à ce genre de situation. A la question de savoir qui, dans cette nouvelle configuration, était son meurtrier raté, Marie avança bien ses soupçons, relatant l'exécution de Jean-Yves Rontasson au sein du chapitre, sur un siège dévolu depuis des siècles à cette utilisation. L'évêché cria au scandale et à l'irrationalité. Comment pouvait-on inventer pareille ignominie qui ne pouvait éclore que dans un cerveau laïc intégriste ou dégénéré. Une fouille fut ordonnée mais aucun siège de cette description ne fut trouvé à l'endroit indiqué. Sur ces entrefaites, le juge avait convoqué le commissaire Lataille. Celui-ci déclara sous serment avoir arrêté le coupable du meurtre de Rontasson. Marie et Sofiane ouvrirent des yeux ronds. Il s'agissait d'un individu du Mirail déjà connu des services de police. Lataille avait obtenu des aveux circonstanciés. Marie soudain se sentit cernée. Plus le procès avançait, plus elle se retrouvait en position de faiblesse. Les ennemis avaient resserré les rangs et camouflé les failles. Elles étaient devenues invisibles aux yeux de ceux qui ne cherchaient pas à voir. Le Pouce de Dieu s'était défait des branches malades de l'organisation. Marie pouvait s'estimer heureuse de s'en être sortie vivante et d'avoir réussi à libérer Sofiane.
El médico en prit pour un an avec sursis pour incompétence notoire et fut interdit d'exercer la médecine légale. Il resta libre à l'évêché à occuper sa retraite avec son cher ordinateur. Dans cette machination finalement, le seul coupable qui paya de sa vie fut Sanchez. Il n'était pourtant qu'une marionnette. Vu la tournure des évènements, Marie décida de ne plus rien divulguer. Il était urgent de prendre le temps de réfléchir, pour ne pas risquer de renseigner davantage l'hydre à têtes multiples. Elle savait que celle-ci ne la laisserait plus tranquille tant qu'elle serait en vie. La lutte serait sans merci et surtout sans répit.
Peu après la fin du second procès, Sofiane fut libéré. Quand il sortit de prison, Marie l'attendait. Il monta dans la voiture et elle démarra aussitôt. Sans un mot, elle prit la direction de Cordoue. Quelques heures plus tard, ils s'asseyaient côte à côte sur le banc de pierre qui court le long de l'antique mosquée dans le patio des orangers. Tout en part et tout y revient. Les oiseaux piaillaient dans les cyprès, le parfum des arbres leur léchait les narines et l'air était doux à leur intimité retrouvée. Ils parlèrent de leur avenir commun, tout en tirant le lourd bilan de leur aventure et de ce qu'il convenait de faire pour aller au devant de leurs désirs tout en restant fidèles à leurs devoirs.
FIN (tome I)