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Tout en part, tout y revient/ roman dédié à l'antique mosquée de Cordoue
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Tout en part, tout y revient/ roman dédié à l'antique mosquée de Cordoue
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28 novembre 2010

Chapitre 1.

IMG_0077_1_Chaque week-end, je mettrai sur mon blog un chapitre de mon roman "Tout en part, tout y revient".

Voici donc le chapitre 1.

Bonne lecture ! Et bien sûr, j'attends vos commentaires, auxquels je ne manquerai pas de répondre !

quaidaurade

Prologue

La reconquête (Reconquista) de l’Espagne musulmane par les armées catholiques, commencée au XIIIème siècle, se paracheva en 1492 avec la chute du dernier califat de Grenade. Alors son calife Boabdil s’exila. Cette date sonna le glas de la civilisation arabo-musulmane, el Andaluz. Réputée pétrie de tolérance entre musulmans, juifs et chrétiens, elle avait rayonné sept siècles durant dans la péninsule ibérique. Toute l’Europe avait profité de sa culture et de ses nombreuses découvertes scientifiques.

A partir de 1492, les rois d’Espagne imposèrent le catholicisme par la force (conversions forcées, expulsions et exécutions). Ils voulaient unifier l’Espagne sous une seule bannière, celle du pape. En ces temps d’intolérance, l’Inquisition connu son apogée.

Cette épopée vieille de cinq cents ans sommeille en chacun de nous dans un coin de notre mémoire. Qui n’a pas visité (ou vu des photos) de l’Alhambra de Grenade ou de la mosquée antique de Cordoue, pour ne parler que des monuments les plus connus.

Ce que certains considèrent comme un choc de religions perdure encore aujourd’hui et semble même d’une actualité de premier plan.

Partie 1


1.

Raconter cette histoire, c’est comme marcher sur des œufs, et sans le vouloir, je me suis laissé embarquer.

Le corps gisait raide et inerte comme un tronc aux pieds du lieutenant de police stagiaire Sofiane Saïdi. « Trépassé depuis plus de huit heures », murmura-t-il, lui qui n’aurait loupé pour rien au monde une leçon d’autopsie.

Il s’était réveillé tôt, frais comme un gardon (j’adore cette expression), puis s’était accordé deux croissants pour accompagner son café noir sur le zinc du bar Basque. Après, comme chaque matin, il s’était payé une sacrée trotte à pied jusqu’à l’hôtel de police, situé quai de l’embouchure le long du canal du Midi. A peine débarqué dans son minuscule bureau, son chef abhorré l’avait convoqué. Un cadavre avait été découvert au petit matin (blême), le long de la Garonne, par un promeneur de chien à la crotte matinière.

Joseph Lataille lui avait d’entrée balancé :

-         Il y a un bou.., enfin un Maghrébin, ou plutôt son cadavre, qui t’attend à la Daurade…

Sofiane Saïdi comprit sur le champ que s’il ne s’était agi d’un Arabe, l’affaire ne lui aurait pas été confiée. Il était habitué à marcher dos au mur pour assurer ses arrières. Il était blindé en réalité parce qu’à certaines oreilles, Arabe sonne comme une injure.

Et son chef d’ajouter :

-         Tu me règles ça vite fait, SDM, c’est sûrement un règlement de compte entre caillera du Mirail ! Un de plus !

Le service où il avait été affecté à Toulouse, l’avait surnommé SDM, pour Sofiane du Mirail. Or Saïdi était né à Grenoble et n’était du Mirail en aucune façon, ni par son père, ni par sa mère, ni même par un lointain cousin.

Sofiane fit ce que son chef attendait de lui. Il n’avait pas le choix. Il savait depuis longtemps, et mieux encore depuis le jour où il était entré à l’école de lieutenant de police, que l’unique façon d’être tolérer dans le pays de sa naissance était de s’imposer par son excellence. Et pour y arriver, il bossait comme un Chinois.

Il déboula sirène hurlante sur la place de la Daurade. Un périmètre de protection était déjà instauré. Des policiers bloquaient les accès vers la Garonne pour écarter les badauds trop curieux. Il gara le véhicule de service près de la péniche-restaurant, amarrée le long du quai, et se dirigea vers le mort prétendu Maure. Ses collègues de la scientifique, déjà sur place, prenaient empreintes et photos. Allongé sans vie sur la berge de la Garonne, le pauvre hère avait une sale gueule. Sa boîte crânienne était enfoncée d’un bon cinq centimètres comme si une masse pointue s’y était méchamment abattue. L’effet était spectaculaire. Le coup semblait unique, proprement administré si on peut dire, asséné sans nul doute par un professionnel de la spécialité. Pour parfaire ce chef-d’œuvre de l’horreur digne d’un bourreau qu’on aurait dit tout droit sorti du Moyen Age, le nez avait été consciencieusement écrasé comme une figue au milieu de la figure, et son jus, éclaboussant le visage tout autour, était resté collé en une croûte répugnante de sang séché, mêlé aux autres substances qu’on trouve habituellement en cet organe particulier. Et cela n’avait pas semblé suffisant à l’assaillant. La bouche aussi en avait pris plein les dents. Elle ressemblait à un champ de ruines après un bombardement intensif, et ce n’étaient que les dommages collatéraux. Pour fignoler ce labeur insensé, cet acharnement sadique à usage non thérapeutique, deux balafres symétriques ornaient les joues, jadis joufflues, tout au moins dans un passé proche de plus de huit heures. D’aucuns se seraient laissés aller à imaginer que ces balafres symbolisaient des croix. Cette pensée vint d’ailleurs à l’esprit du lieutenant Saïdi. Il se reprit aussitôt, tant elle lui parut saugrenue. En règle générale, on ne sait comment ni pourquoi surgissent les idées, ni la relation souvent étrange qu’elles entretiennent entre elles, si ce n’est comme une quelconque réminiscence poussiéreuse extirpée du musée des souvenirs, telles ces images des Croisés brandissant leurs oriflammes ornés de la croix singulière des Templiers, que chacun en Occident conserve enfouies quelque part en lui. Voilà à quoi, à ce moment précis, s’amusait le cerveau de Sofiane, qui lui jouait un tour à sa façon, alors qu’il n’avait pas la moindre propension à s’enfermer dans le sentiment d’une personne agressée, quand bien même les agressions qu’il subissait étaient bien réelles et récurrentes. Il se voyait plutôt à cette époque dans la peau d’un « musulman optimiste ». Il avait lu l’expression dans un magazine qui traînait sur une chaise dans une salle d’attente de dentiste. Elle lui avait plu d’emblée malgré qu’il souffrît énormément d’un mal de dent obsédant. En tant que narrateur de ces tragiques évènements, c’est sans vergogne que je vous impose la citation : « le ciel répondit à Adam, je t’ai donné le ciel et le temps, va, tu dompteras l’espace comme l’oiseau qui vole et tu vaincras les flots comme le poisson qui nage. Adam sourit et l’astre idéal éclaira son obscure caverne et son brillant destin. Ainsi va-t-il de l’optimisme musulman qui s’oppose à la culpabilité chrétienne issue du péché originel introduit par Saint Augustin l’Algérien », écrivit Malek Bennabi que Sofiane ne connaissait ni d’Eve ni d’Adam. Il s’ébroua et se reprit. Il n’avait aucun droit à l’erreur. Il ne croyait pas si bien dire. La difficulté de l’art réside dans la faculté de laisser libre cours aux intuitions et autres images spontanées, voire fantasmes, sans pour autant s’en laisser compter.

Le visage du présumé Maure n’avait plus rien d’humain. Sa tête, difforme et boursouflée, pendouillait lamentablement au-dessus du fil de l’eau. D’une couleur sang séché, elle était devenue aussi dure que la pierre dont était fait le cœur de celui qui l’avait à jamais défigurée. Le corps intact gisait dans une position donnant à penser que, mû par un effort tant désespéré que démesuré pour abréger une souffrance intolérable, le malheureux avait tenté (en vain) de précipiter cette tête meurtrie dans l’onde espérée curatrice ou morphinale du fleuve. Mais il était avéré que le quidam était déjà mort en s’écrasant, jeté depuis le haut de la rambarde de briques roses qui surplombe le quai du côté de l’église de la Daurade. Cela s’était certainement produit au milieu de la nuit. Il était certain aussi que le mort ne s’était pas suicidé. Cela paraît facile à dire, mais dans ce métier, on sait qu’il ne faut négliger aucune piste. Et pauvre de ces maigres indices, son chef présumait que ce cadavre était celui d’un Maghrébin. Sofiane en restait stupéfait.

Confronté à son premier mort dans l’exercice de son nouveau métier, il demeurait cependant de marbre. De la même manière, jamais il ne s’était senti défaillir lors des nombreuses autopsies auxquelles il avait assisté. Jamais il n’avait tourné de l’œil comme certains de ses collègues, en observant l’incision d’un abdomen de noyé au moment où s’échappent en un bruit sordide les gaz putrides accumulés dans le ventre démesuré, dont l’odeur à elle seule suffirait à donner la nausée au nez le plus bouché. Pas davantage en admirant la découpe vertigineuse d’un crâne à la scie vibrante, car rien n’est plus beau et haut en couleurs que les méandres qui en constituent les deux hémisphères. Il m’a seulement avoué regretter, en le découpant, de ne pas y trouver trace des souvenirs hétéroclites à cet endroit remisés, qui auraient permis de procéder à un inventaire post mortem. « Imagine, m’a-t-il marmonné un jour, qu’on y retrouve les images de l’assassin gravées sur une sorte de disque dur biologique, hein ! Ce ne serait pas formidable ? Dommage ! » Cela n’aurait pas déplu au lieutenant stagiaire Saïdi. Il restait impassible même quand la monstruosité au faîte de son génie inventif exhibait des corps amochés, charcutés, sanguinolents, déchiquetés, blafards, putréfiés, calcinés, découpés en rondelles, désossés, réduits en bouillie pour chats carnivores, écorchés vifs, émasculés, écervelés, décapités, éviscérés, amputés et autres créations démentes et néanmoins humaines. Leur promiscuité ne le révulsait même pas. Par contre, d’être obligé de reconnaître qu’un être humain puisse, non seulement attenter à la vie d’autrui, mais le faire habité d’une rage (d’une jouissance ?) sadique et destructrice, le mettait hors de lui et le plongeait dans une quasi transe. Alors, plus rien ne comptait à ses yeux hormis l’absolue nécessité de parvenir à poser la main au collet du criminel. Sofiane analysait le mal comme un délire de l’égoïsme, un désir déjanté de dominer, qui pouvait amener des gens dangereux à réduire ceux qu’ils enviaient à un état pitoyable.

A cet instant précis du déroulement de ses pensées morbides, alors qu’il se trouvait toujours debout avec, étalé à ses pieds, le macchabée abominablement amoché, il leva les yeux, un mouvement dont il se souvient parfaitement. Sur le moment, on ignore pourquoi on fait telle chose plutôt que telle autre, lever les yeux plutôt que plonger le regard dans l’eau du fleuve, et pourtant, une action préférée à toute autre peut nous entraîner vers des horizons auxquels on n’avait pas forcément songé. C’est ainsi qu’en levant les yeux, il aperçut au milieu de la foule des badauds agglutinés au sommet du mur de contingence de la Garonne, s’esbaudissant à la vue du spectacle de la police en train de s’affairer autour d’un cadavre, une jeune femme brune, du visage de laquelle il ne put de suite soustraire son regard quand celui-ci s’y accrocha. Elle le regardait la regarder, le mort à ses pieds. Cet instant ne dura qu’un instant mais persista longtemps dans son souvenir. Ce visage n’était pas destiné à finir remisé au grenier de sa mémoire.

Le cadavre était sommairement revêtu d’un survêtement de supermarché et était nu-pied, les doigts s’étalant en éventail comme pour s’aérer, le petit dernier bien écarté. Une vraie marque de fabrique. Il avait l’apparence d’un pauvre type qui à cet instant précis n’était même plus cela. Sofiane avait du mal à l’imaginer en caillera du Mirail comme le désignait avec tant d’aplomb son chef abhorré. Et il se demandait ce que ce pauvre type avait bien pu trafiquer pour mériter pareil sort. On s’était acharné sur lui avec une telle véhémence que sa propre mère ne l’aurait pas reconnu. Il avait dû souffrir le martyr avant de rendre son dernier souffle, victime d’une haine peu banale. Voilà précisément ce qui ne collait pas avec l’hypothèse du commissaire divisionnaire Joseph Lataille. Une caillera du Mirail aurait été plantée, à la limite révolvérisée, alors que pour trucider à l’aide d’une sorte de marteau pointu, il fallait posséder une technique éprouvée alliée à une sacrée dose de sadisme et appartenir pour le moins à une secte aux méthodes moyenâgeuses. Une caillera du Mirail n’aurait jamais procédé ainsi, ni même pu imaginer pareille mise en scène.

Le lieutenant tournoyait autour du cadavre comme un chien de chasse. De temps en temps, il jetait un coup d’œil discret en direction des badauds juchés sur le mur de la Daurade. A chaque fois, il constatait que l’inconnue l’observait et notait sur un carnet.

Sofiane, ainsi qu’il me l’a raconté, était gêné par cet attroupement qui s’esbaudissait à la vue d’un cadavre dont la tête boursouflée pendouillait au-dessus des eaux de la Garonne. Cela se passait à Toulouse, le onze juillet 2000. Il captait dans ces regards une lueur étrange. On aurait dit que la nature prédatrice de ces badauds éclatait le vernis de civilité et que l’observation de la scène macabre représentait à leurs yeux une expérience génératrice de joie de vivre. Cette pensée le fit frissonner. Alors que la vision et la proximité d’un cadavre ne l’avait jamais impressionné, la propension de l’homme à tuer son semblable le turlupinait.

La présence de la femme au milieu de cette foule bigarrée l’intriguait de plus en plus. Il acquit la certitude qu’elle l’observait, lui, et finit par se convaincre que c’était une journaliste. Il n’avait pas intérêt à se planter. De toute façon. D’où elle était, elle s’octroyait une vue d’ensemble imprenable. Elle lui souriait à présent quand elle remarquait qu’il l’observait et Sofiane lui rendit son sourire. Un courant d’empathie se branchait à distance. On se demande pourquoi mais c’est ainsi que cela se passa sans que Sofiane l’eût cherché. Ce n’était qu’un évènement banal, fruit du pur hasard, comme il se l’imaginait alors, tandis que l’eau continuait de couler le long du quai et que le mort prétendu maure n’était plus concerné. Le malheureux n’entendait pas au loin le grondement lancinant du fleuve au franchissement du Bazacle. Ce brouhaha serinait à l’oreille de Sofiane que la vie peut être belle et laide en même temps. Mais chacun sait cela. Qu’un homme meure de maladie ou de vieillesse, il pouvait le comprendre et l’accepter, même s’il avait du mal à s’y résigner, qu’il meure par sa propre négligence ou imprudence, il trouvait que c’était cher payer mais l’acceptait tout autant, alors que de se retrouver aux côtés d’un corps estourbi par un de ses soi-disant semblables, le révulsait. Cette circonstance accablante l’incitait à mettre toutes ses capacités au service de la traque de la vérité. Il n’était quand même pas sorti major de sa promotion pour rien. Son chef de son côté semblait bien se moquer de la vérité. Il paraissait davantage prédisposé à manipuler son monde qu’à investiguer sur des faits. Sofiane ignorait encore que la traque de la vérité peut entraîner jusqu’au marécage de la désillusion. La vérité en réalité peut tuer alors que l’illusion aide à vivre. Ainsi va le monde.

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Commentaires
E
Je connais un peu Toulouse,la Daurade et les berges.Mais cette rencontre est pour le moins brutale.Je reviendrai régulièrement.
W
J'aime le style un peu glauque. J'attends la suite
V
bonjour Pierre je ne manquerais pas de lire votre blog avec interêt il me faudra du temps car tout cela me semble interessant !amities véro
Tout en part, tout y revient/ roman dédié à l'antique mosquée de Cordoue
  • roman trépidant et original qui s'attache aux questions très actuelles de la tolérance et de l'extrémisme religieux. Des personnages attachants sont aux prises avec un monde de plus en plus tentaculaire et nous rappelle que l'intolérance ne vient pas uniq
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