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Tout en part, tout y revient/ roman dédié à l'antique mosquée de Cordoue
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Tout en part, tout y revient/ roman dédié à l'antique mosquée de Cordoue
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11 mars 2011

Partie 4 (2)

(Rappel : présentation du roman, voir 7 septembre 2010 / Partie 1, chapitre 1, voir au 28 novembre 2010 / Prochain postage de la partie 4 (3), prévu le 18 mars 2O11)

couverture_roman

(les amateurs peuvent se procurer le roman sur le site www.publibook.com / ou bien le commander dans une bonne librairie)

penitents_photo_AFP

(les Pénitents de la semaine sainte à Séville - photo AFP)

 

Partie 4 (2)

Quelques heures plus tard, je me mirai dans le miroir de l'hôtel Saint Elme (j'avais pris une chambre avec vue sur le port). Je ne me reconnus pas. Le coiffeur m'avait certifié que je serais méconnaissable. Il m'avait fait une coupe à ras et teint ce qui me restait de cheveux en blond platine. Ensuite des piercings avaient parachevé l'œuvre. L'un pendouillait sur une arcade sourcilière (celle de droite) et l'autre transperçait la lèvre du bas. Une horreur. J'avais observé la métamorphose au fur et à mesure, bien sûr, mais de revoir l'ensemble de la rénovation de près constitua pour moi un choc effrayant. Je contemplais dans ce miroir quelqu'un qui n'était pas moi. Je n'étais plus cet artiste joueur de oud. J'avais beau le dévisager, l'autre, je n'arrivais pas à m'y faire. Il allait pourtant falloir que je m'y fisse. Et tout de suite. J'essayai de chasser les mauvaises pensées qui tanguaient dans ma tête. Malgré tout, elles récidivaient à chaque fois que j’apercevais le type qui m'avait remplacé dans un bout de miroir de la salle de bains. Une brutale réalité m'avait conduit dans une ville où je n'avais pas la moindre intention de mettre les pieds, pour y devenir quelqu'un que jamais je n'aurais voulu être. Mais quelle faute gravissime avais-je donc commise pour être maltraité à ce point par le destin ? Aucune, sinon celle d’avoir tout simplement consenti un jour de conserver des documents dont je ne connaissais même pas la teneur. Tel était mon unique crime. Telle était ma grande erreur. Une panique incontrôlée s'empara de moi. Je venais de perdre ma liberté sans même m'en apercevoir. En prison au moins, j'aurais été en sécurité. Alors qu'ici, ou n'importe où ailleurs, je ne pouvais ni ne devais me fier à personne. Je jetai un coup d'œil prudent par la fenêtre et constatai que pour le commun des mortels, la vie suivait son cours tranquille, si je pouvais en juger par la quantité de gens qui se prélassaient sur les terrasses bondées. Je n'avais même pas le courage de descendre pour me mêler à cette foule désinvolte. J'avais acheté de quoi me faire un casse-croûte chez l'épicier du coin, que je soupçonnai d'être trop aimable pour être sans reproche. Je remarquai qu'il me considérait d'un drôle d'air. Réfugié dans ma chambre, je dus produire un effort surhumain pour me calmer, moi qui suis d'un naturel placide. Je mastiquais lentement les denrées industrielles que j'avais achetées tout en regardant d'un air distrait un programme machinal à la télé. Qu'allais-je devenir ?  Hier encore je vivais heureux et sans histoire entre mes piges et mon oud dans une ville que j'adorais. Par la fenêtre entrebâillée, s'engouffraient les plaintes échevelées des groupes de gitans qui chantaient devant les restaurants. Le chant des guitares et des mandolines n'arrivaient même plus à me réchauffer le cœur. Hocine Loumail, le gentil joueur de oud, n'était plus, même si son âme vibrait encore dans les tréfonds de son corps. Il avait complètement changé de gueule et le reflet que lui renvoyait le miroir le terrorisait. Je n'étais nullement préparé à subir ce genre d'évènements. Je n'avais absolument rien demandé ni cherché. Certaines personnes s'ennuient dans leur vie pépère et pleurent pour trouver l'aventure au coin de leur rue, alors qu'en ce moment, j'aurais tout donné pour retrouver mes pires habitudes. Je finis par m'assoupir devant la télé. Je me réveillai en pleine nuit, trempé de sueur. Le chant frénétique des gitans s'était interrompu. J'éteignis péniblement la télé. Puis je somnolai me réveillant par intermittence. J'avais les yeux grands ouverts quand un léger bruit attira mon attention. Je fus horrifié de voir la poignée de la porte de ma chambre osciller. La terreur me paralysa sur le lit, le souffle coupé. Je ne pus détacher mes yeux de la porte, le reste de la nuit. Je finis par sombrer dans le sommeil au petit matin quand la lumière du jour me rassura. Quand je me levai, le soleil était déjà bien au-dessus de la colline et cognait contre les volets mi-clos de ma fenêtre. Je ne savais plus si j'avais rêvé ou non. Je décidai de changer de crèmerie. L'office du tourisme m'indiqua une chambre d'hôtes à quatre kilomètres de la ville, perdue dans les vignes près d'une plage nichée au fond d'une crique. Bernardi s'appelait la plage. J'étais absolument sûr que personne ne m'avait épié à l'intérieur du bureau et pour plus de sécurité, j'avais pris soin de demander plusieurs adresses. Quand je téléphonai d'une cabine au propriétaire (j'avais éteint mon portable et décidé de ne plus y toucher jusqu'à nouvel ordre), il m'indiqua qu'il lui restait une sorte de petit studio dans la maison. Je le louai sur le champ. Le bus m'amena jusqu'au chemin qui menait au mas. J'étais seul dans le bus, à part le chauffeur qui somnolait au volant. Aussitôt installé dans le studio joliment agencé, je me jetai sur le lit pour lire les journaux que j'avais achetés. Je commençai par feuilleter Liberté et tombai sur un article relatant un fait divers : disparition d'un journaliste, avec ma photo en exergue. Finalement j'avais bien fait de changer de fond en comble ma tronche. "Notre journaliste Hocine Loumail a disparu avant-hier soir, après le saccage de son appartement (photo). Un voisin a donné l'alerte après avoir constaté les dégâts en sa compagnie puis a déclaré qu'il avait décelé chez lui un comportement inaccoutumé. D'autre part, une plainte contre notre journaliste pour agression semble avoir été déposée au commissariat du quartier. Il semblerait que notre collaborateur excédé ait assommé d'un coup de luth quelqu'un venu lui proposer un abonnement téléphonique à son domicile. Ceci n'explique pas l'état dans lequel l'appartement a été retrouvé." D'avoir changé d'aspect néanmoins ne modifiait en rien ma situation dramatique. Elle paraissait d'ailleurs sans issue. La seule porte de sortie, pour l'instant virtuelle, qui me restait, était ce coup de fil hypothétique que je devais normalement donner dans trois jours à un correspondant affabulateur et facétieux. Comme emprise sur sa vie, on fait mieux. Je regardai par la fenêtre. Les vignes couvraient la colline. Je l'ai déjà dit. A son sommet, une ancienne forteresse veillait sur le port. Plus bas, à cinquante mètres du mas, le bleu colère de la mer tranchait sur les lignes vertes jaillissant de la rocaille. Dans le deuxième journal, la Planète, un article racontait à peu près la même histoire mais sans ma photo. Un journaliste de Liberté. Il fallait absolument que je marche pour me calmer. Je sortis, descendis les escaliers du mas en direction de la crique. Une petite porte en bois séparait la propriété de la plage. Derrière la porte, un mur en béton, vestige de la dernière guerre, destiné à empêcher le débarquement allié, séparait la plage de la vigne. Il était fracturé à l'endroit de la porte. Je me retrouvai sur la plage. Les lumières vives me défonçaient la vue. Le bleu extrême de la mer, le sable blanc réverbérant le soleil barbare, les montagnes couvertes de vignes vert sauvage se terminant en falaises abruptes aux rochers noirs et marron agressaient ma vision nordique accoutumée à la mer du Nord avec ses infinies déclinaisons de gris de vert et de blancs aux horizons inouïs d'estran. Je gravis les rochers par le sentier qui longeait la falaise et vint m'asseoir au pied des vignes sous un bouquet de pins parasols. Mon regard portait au loin sur des falaises aux pieds desquelles bouillonnait l'écume. Des vignes bien en lignes s'arrondissaient sur les collines. Des vignes des vignes. En bas des falaises aux rochers noirs, des criques lovaient des plages de sable grossier mélangé à de gris galets. La vielle tour de Madeloc (que mon hôte avait ainsi nommée) du haut de ses cinq cents mètres, gardait farouchement ce paysage. Un train sortit en hurlant du tunnel et longea la crique dans un bruit de fer qu'on tiraille. Comme je regrettais de ne pas avoir mon oud auprès de moi pour en jouer afin de me consoler de cette vie calamiteuse qui s'était abattue sur moi comme un mauvais nuage de grêle. Je n'avais d'autre choix que de rabâcher. Le temps s'étirait trop nonchalamment pour en être autrement. Je ne saisissais rien de cette histoire. Mais qui donc avait assassiné Marie ? Qui avait intérêt à tenter de me faire croire qu'elle n'était pas morte ? Qui me surveillait ? Qui m'avait agressé dans le but de récupérer ses documents ? A quel jeu jouait le père ? J'avais beau tourner ce linge sale dans le tambour de ma machine, rien n'en sortait propre. Aucun fil à appréhender par lequel tirer et dénouer cette pelote mystérieuse et embrouillée. J'étais seul, isolé loin de chez moi et de mes terres coutumières, exclu de mon travail, sans pouvoir demander conseil à quiconque et en incapacité de me confier à la police. Une situation invraisemblable. Je vivais malgré moi un mauvais roman de gare et n'avais aucune prise sur son piètre auteur que j'aurais volontiers assassiné. Il fallait encore patienter deux jours par-dessus le marché. Je n'avais d'autre alternative que d'attendre puis de téléphoner même si ce n'était qu'un nouveau piège grossier, pourvu d'une amorce monstrueuse, Marie en personne.

Le moment de téléphoner finit par arriver. Il fallait y passer. Ma main tremblait comme une feuille prise dans la brise quand je décrochai le combiné. J'avais pris le bus de la côte jusqu'à Perpignan pour me perdre dans le flot des cabines téléphoniques. Tous les Punks que je croisais me saluaient chaleureusement. Dieu sait s'il y en avait. Je me demandais si je m'y ferais un de ces jours. Je composai le numéro. Il ne fallut pas longtemps à mon correspondant pour décrocher. Je reconnus parfaitement la voix légèrement chevrotante du père de Marie. Dès qu'il m'identifia, il se hâta de me jeter cette phrase en pâture : "calle Amador de los Rios, numéro 2O, à Cordoue, vous sonnez et vous vous présentez". Et avant que je pusse placer le moindre mot, il ajouta : "c'est la rue qui passe entre la Mezquita et le fleuve". Au moment où j'allais lui rétorquer que.., il a raccroché. Je restai comme frappé de stupeur dans la cabine, à contempler stupidement le combiné devenu muet. Puis la raison rentra au bercail quelque part dans ma caboche de sinistré et me commanda d'observer les alentours pour repérer si jamais quelqu'un m'épiait. On n'est jamais assez prudent que je me disais. Comme si cela pouvait se remarquer. Je crois surtout que la paranoïa me guettait de près. Qu'est-ce que c'était que cette adresse ? Et puis plus un mot sur Marie, comme s'il ne m'en avait jamais causé. C'est bien ce qui me semblait, ce type affabulait. Comment pourrais-je retourner à Cordoue à présent ? Tout cela n'avait aucun sens. Je rentrai dans mon mas perdu au milieu des vignes, m'étendis sur le lit et me mis à réfléchir sur mon triste sort. Bon ! Réfléchir est un bien grand mot. Il n'y avait rien sur quoi réfléchir. Je n'étais guère plus avancé, sauf qu'on me demandait en plus de voyager encore plus loin. Pour aller où ? A Cordoue ! Me jeter dans la gueule du Pénitent rouge. Marie exécrait les Pénitents rouges. Cette histoire n'avait ni queue ni tête. Alors deux visages sont venus me hanter la nuit suivante, ceux de Marie et de Sofiane. Je les aurais facilement oubliés et jeté leurs frusques aux orties pour reprendre ma vie pépère d'avant, mais ils se sont brusquement imposés à mon cerveau. Balivernes que de tenter de démêler les derniers évènements, ces deux visages m'imposaient d'avancer en plein brouillard sans même ralentir, quoi qu'il m'en coutât, parce qu'ils n'avaient que moi pour faire éclater leur vérité. Comment ? J'aurais été bien en peine de le dire. De la façon dont ce que certains appellent le destin et que je ne tenais pas du tout en mains, en déciderait. C'était la seule évidence. Je m'endormis résigné. Puisqu'il fallait y aller, j'irais. Même avec mon visage transfiguré, je n'aurais plus pu me regarder le matin dans le miroir si je n'avais pas au moins tenté ce qui était en mon pouvoir. Et la seule action que je pouvais mener à bien dans les circonstances présentes, était d'aller sonner au 20 de je ne sais plus quelle rue déjà. Heureusement, je m'étais prémuni d'un stylo et d'un carnet pour parer à toute éventualité. L'adresse était bien calée au fond de ma poche, transcrite sur une feuille de papier. Au bout d'un moment, j'abandonnai l'idée du piège grossier parce que je pensais ingénument que s'ils l'avaient voulu, ils m'auraient déjà attrapé. Puis une idée sournoise se mit à germer en moi, pas de piège grossier ok, mais peut-être une énorme et terrible machination dont je n'avais pas la moindre idée. Ils n'avaient pas fait preuve de maladresse jusqu'à présent, mis à part le gars qui était parti avec mon oud autour du cou. De toute façon, les dés étaient jetés.

Le lendemain à l'aube douce, alors que le soleil se mettait à peine au turbin, j'entrai dans la gare de Port-Vendres.

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Tout en part, tout y revient/ roman dédié à l'antique mosquée de Cordoue
  • roman trépidant et original qui s'attache aux questions très actuelles de la tolérance et de l'extrémisme religieux. Des personnages attachants sont aux prises avec un monde de plus en plus tentaculaire et nous rappelle que l'intolérance ne vient pas uniq
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