Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Tout en part, tout y revient/ roman dédié à l'antique mosquée de Cordoue
Derniers commentaires
Tout en part, tout y revient/ roman dédié à l'antique mosquée de Cordoue
Archives
11 février 2011

Partie 3, chapitre 4

(RAPPEL : présentation du livre = 7 septembre 2010

Partie 1, chapitre 1 = 28 novembre 2010

prochain postage prévu le 18 février 2010 = récit de Sofiane Saïdi))

couverture_roman

(on peut se procurer le livre sur le site : www.publibook.com

ou dans une bonne librairie.)

3mezq

(antique mosquée de Cordoue)

4.

Quand nous est parvenue au journal la nouvelle inimaginable, atroce, lamentable, de l’assassinat de Marie, nous n'avons pas voulu le croire, du moins au début. Il a bien fallu ensuite se rendre à l’évidence, pieds et poings liés. Une immense consternation alors nous submergea. C’est peu dire, mais je ne trouve pas d'autres mots. Ni à l'époque, ni maintenant. La douleur m'en empêche. Non seulement nous perdions une collaboratrice en or, mais aussi une amie chère à nos cœurs. Marie avait l’art de tisser des relations fortes avec chacun de nous y compris ceux ou celles qui ne l’appréciaient guère.

Peu de temps après ce séisme, le directeur me convoqua dans son bureau. Il avait la mine affligée des mauvais jours. Comme il connaissait la relation d'amitié qui nous liait, il m’a demandé sans ambages de mettre mon oud de côté et d'aller assister au procès en tant qu’envoyé spécial du journal. J'aurais eu mauvaise grâce de refuser.

Quand je suis arrivé à Cordoue, je suis descendu à l’hôtel Mezquita, bien entendu, même si ce fut pénible pour moi de me retrouver là. J’ai voulu visiter l’antique mosquée, évidemment. Marie m’en avait tant parlé que cela me titillait. A peine déposai-je le pied à l’entrée qu’une alarme se déclencha, qui n’avait bien sûr rien à voir avec moi. Des gardiens courraient en tous sens. Les flics sont arrivés en force dans un fracas de sirènes hurlantes et de crissements de pneus, bousculant les visiteurs. Les portes monumentales furent brutalement fermées après que le public eût été évacué dans la hâte et le chaos. Les badauds s’agglutinèrent dans le patio comme de vrais badauds, moi y compris, curieux de savoir ce qui se tramait. “Un attentat, un attentat”, criaient les uns avides d’images fortes, “déjoué”, chuchotaient les autres l’air déçu, jusqu’à ce que nous vîmes une des portes monumentales s’ouvrir pour laisser passer des policiers entourant un grand gaillard barbu menotté qui hurla à la foule tenue à l’écart “Allah Akbar”, et ce fut tout. Les gens se dispersèrent en restant sur leur faim d'évènements sanglants. Je me suis dit alors que Ben Laden (on venait de “célébrer” le premier "anniversaire" du 11 septembre 2001) envoyait des jeunes idéalistes au casse-pipe inutile et débile, répandant le sang innocent, alors que lui se prélassait dans ses montagnes en pleine nature entouré de ses femmes et de certains de ses enfants. Finalement, qu’y a-t-il de mieux sur terre que de profiter de la nature en famille ?  On peut même y jouer des compositions de oud.

Mais venons-en au procès. Tout au long de son déroulement, je sentis monter en moi un sentiment de malaise que je vais tenter de vous décrire. Bien que Sofiane Saïdi, en tant que principal et unique accusé, y fût présent, il donnait l’impression de ne pas réaliser ce qu’il y faisait. Ils n’ont cessé de le charger alors qu’il restait amorphe au lieu de se défendre bec et ongles si ce n’était pas lui l’assassin. C’était quand même un bon inspecteur, et reconnu comme tel par son école ! Tout au contraire, il demeura figé dans une attitude absente, comme s’il était anéanti par le meurtre dont il était accusé. Dans ces conditions, son compte fut réglé en un rien de temps. Tout concordait à faire de lui l’unique coupable idéal. Et personne ne se gêna. Le défilé des soi-disant témoins, tous à charge, fut des plus affligeants. Le premier à être appelé à la barre, fut un type avec qui il avait eu une altercation dans la mosquée. Il rapporta les faits tels qu'ils s’étaient produits selon lui, sur un banc, situé juste à l’entrée de la salle du trésor. Ce bonhomme, après s’être présenté comme le comptable d’une association de bienfaisance, ce qui fait toujours bonne impression dans un tribunal, présenta Sofiane comme un type forcément malfaisant puisque impulsif, violent, torturé et surtout vindicatif. “Rendez-vous compte”, déclara-t-il aux juges, “après avoir balancé mon cartable à terre dans une geste d’une rare rage, pour une banale altercation au sujet d’un portable, ce drôle de type a été capable de me filer tout au long des ruelles de la Juderia, que j’ai dû arpenter de long en large sans arriver à m’en débarrasser. Il a fallu que je trouve le subterfuge d’entrer au Hogar San Rafael, Hermanitas de los ancianos desamparados, d’expliquer aux bonnes sœurs ce qui m’arrivait et d’en sortir par une porte dérobée pour parvenir à échapper aux velléités intempestives de ce dingue, que je jugeai alors dangereux et signalai à la police". Puis on monta d’un cran avec le témoignage de la femme de chambre de l’hôtel Mezquita. Elle commença par dire qu’elle ne s’était pas encore remise du drame. Jamais elle n’aurait cru qu’une pareille affaire se produirait dans un hôtel de si bonne tenue et qu’elle en serait le principal témoin. Elle déclara qu’elle sentit immédiatement que “el francès moro” (le Français arabe) avait un comportement bizarre en général et avec la jeune et belle femme qui l’accompagnait en particulier. Elle répéta qu’elle le ressentait profondément et que cette impression fut confirmée par la vision finale. A la question du juge qui lui demandait comment elle pouvait se fier à une impression, elle répondit, “mon brave monsieur, mon intuition ne me trompe jamais, je sentais ce monstre tellement capable d’horreur que j’en ai cauchemardé dès la première nuit”. Le juge alors lui suggéra de rapporter les faits tels qu’elle les avait vécus, en essayant d’être aussi précise et concise que possible. Elle se crispa à la barre et raconta, les yeux embués de larmes par moments, “parce qu’elle en rêvait encore la nuit et qu’elle pensait à cette pauvre et belle jeune française”. Elle faisait une chambre du deuxième étage, non loin de celle du monstre dont elle avait la clé en poche comme toutes celles de l’étage. Elle venait de vider les poubelles des chambres de sorte que toutes les portes étaient ouvertes et qu’elles étaient vides. Elle n’entendit donc personne revenir dans cette chambre. Elle vaquait à ses occupations sans se préoccuper du reste - car vous comprenez mon bon monsieur, avec un hôtel comme celui-là, même à deux femmes de chambres, on n’a pas le temps de flâner - continuez, continuez, contentez-vous de rapporter les faits qui intéressent ce procès, lui conseilla le juge - quand soudain elle entendit un cri horrible, suivi d’autres qu’on aurait dit sortis directement du ventre d’une bête sauvage, qui lui glacèrent le sang. Elle resta interdite quelques secondes, elle ne saurait dire combien, mais certainement pas très longtemps, puis elle sortit dans le couloir et vit qu’une seule porte était fermée, justement celle “d’el francés” et que les cris en provenaient. Elle s’approcha prudemment et colla son oreille à la porte mais n’entendit plus rien. Alors elle ouvrit avec infiniment de précautions et ce qu’elle vit lui donne encore des cauchemars aujourd’hui : el moro francés, écumant de rage, assis à califourchon sur la jeune femme pleine de grâce et de délicatesse étendue sans défense sur le lit. Il tenait dans ses mains les deux extrémités d’une ceinture - la sienne comme le démontra l’enquête qui suivit - qu’il avait enroulée autour de son cou. La fille ne bougeait plus, ne gémissait pas. Alors elle hurla de terreur et s’enfuit aussi vite qu’elle le put s’élançant en courant sur la piste balisée de l’escalier jusqu’à la réception pour prévenir la police. Elle se demande encore aujourd’hui comment elle ne se rompit pas le cou en s’élançant aussi vite dans l’escalier. La suite vous la connaissez, dit-elle au juge les mains toujours crispées sur la barre. Le juge la remercia. Je me dis à ce moment-là que les affaires de Sofiane étaient mal engagées. Je comprenais aussi que ce ne serait que justice qu’il payât pour avoir sauvagement assassiné notre Marie. Mais quelque chose en moi me disait le contraire. Je connaissais bien Marie, jamais elle ne se serait trompée au point de sortir avec un type capable de lui faire du mal. Mais je ne suis qu’un innocent joueur de oud, comme m’a dit le directeur : “mon pauvre Hocine, tu ne connais rien à la noirceur de l’âme humaine. Tu me fais penser à la gauche bécassine : parce qu’il s’agit d’un beur bien intégré, il ne peut être que pétri dans une bonne pâte. Le mal n’est l’apanage de personne, mon vieux, il prend les apparences qu’il veut et surgit souvent où on ne l’attend pas”, etc.

Je n’étais pas du tout dans cet esprit-là, en réalité, et je suis bien placé pour savoir que le mal peut surgir de n’importe où. Non ! Mon malaise sourdait de l’observation du procès, d’y avoir vu l’attitude prostrée de Sofiane que je ne connaissais pas encore, je le répète, et de la trop grande simplicité des faits qui coulaient limpides comme de l’eau de roche. Tout cela à mes yeux, piètre joueur de oud ou pas, ne collait pas. C’était trop évident pour être vrai, voilà ce que je me disais. Mais j’étais incapable de dire pourquoi, aussi me tus-je. J’ai bien sûr omis de dire au directeur que j’avais tous les documents de Marie en ma possession. A l’époque, je n’y avais pas encore mis le nez. J’ai respecté ma parole donnée à Marie de n’en parler à personne pour en faire ce que je devais en faire s’il lui arrivait malheur. Ma première réaction en revenant du procès fut de mettre ces documents en sécurité en louant un coffre à ma banque.

Les seules personnes effondrées à ce procès - hormis Sofiane et moi-même qui ne pouvait en aucun cas le montrer - furent les parents de Marie que je n'avais jamais rencontrés. Ils restèrent dignes dans l’adversité et ne firent montre d’aucune velléité de vengeance envers l’assassin présumé et bientôt condamné. Le dernier témoignage fut celui du commissaire Lataille qui intervint vers la fin. Je ne m’attendais vraiment pas à le voir celui-là. Le commissaire Lataille s’exprimait couramment en castillan mâtiné d’un accent du sud-ouest appuyé. C’était comique à entendre mais ce qu’il déclara me laissa pantois. Je le reproduis ici en substance : il avait fait l’effort d’accueillir ce "beur" - Lataille ne savait comment traduire ce mot au juge espagnol - dans son service où le racisme ordinaire sévissait comme un peu partout en France et ailleurs, fier qu'il était, à ce qu’il disait, de défendre les valeurs républicaines. Il avait réussi à l’imposer et à faire taire les gens malveillants. Il reconnut que Sofiane Saïdi était un flic qui avait un gros potentiel - il avait d’ailleurs brillé à l’école de lieutenants de police - et aurait pu faire une bonne carrière s’il n’avait pas été embrouillé par sa double identité. Le juge demanda des explications et Lataille lui en fournit avec plaisir. "Quoi qu’on en dise et quoi que ces gens fassent, ils restent objectivement marqués par une autre culture opposée à notre passé commun chrétien". C’est ce qu’il dit. Le juge sourit. "Et rien, absolument rien ne peut laisser croire que les fidèles du Coran acceptent un jour le message des Evangiles. Or comme l’homme, quoi qu’on en dise a toujours besoin de quelque chose qui l’oblige à se transcender, il faut qu’il s’affirme avec force comme porteur d’un message. Le message de la culture islamique que portait Sofiane Saïdi et qui émanait de lui par tous ses pores, à travers ses attitudes, ses pensées, ses façons d’être, ses réflexions" - c’est la seule fois de tout le procès où je vis le prévenu sortir, oh! avec peine, de son état de prostration - "était le refus de l’alcool et de certaines nourritures, la préconisation de la polygamie et son corollaire la domination de la femme par l’homme, la répudiation et la séparation des sexes. Dans ces conditions, ceux qui héritent de ces traditions, ne peuvent se fondre dans notre société occidentale qu’en les abandonnant, qu’en épousant une nouvelle culture".

Ce discours idéologique me troubla fortement. Non seulement, je ne comprenais pas pourquoi un homme, même s’il appartient de par sa naissance à une culture, devait forcément y adhérer pleinement sans aller picorer dans les avantages des cultures voisines, et d'une. Et de deux, je ne reconnus pas dans cette description la culture de mes ancêtres maghrébins telle que me l’avait transmise mes parents. A mes yeux, ce discours ne valait rien car toutes choses évoluent et bougent. Une identité n’est jamais figée. Elle évolue avec le temps et les différentes strates qu’apporte la vie avec sa fluidité. Elle peut être le résultat d’un mélange, elle peut surgir de couples “mixtes”. Une majorité d'humains changent de lieu au cours de leur existence. Ils deviennent, malgré toutes sortes de résistances, des membres entiers et légitimes du nouvel endroit qu'ils ont choisi. La loi naturelle de cette planète, c'est le brassage perpétuel et la fluidité d'appartenance. Je revendique mon identité sans racine qui ne peut ainsi être déracinée. Mais toute idéologie est menacée de dogmatisme et a tendance à engendrer des crispations. Une ligne de fracture divise le monde musulman. Il en paie le prix fort. Bien malin qui sait quel camp gagnera et combien de temps cela prendra !  Or pendant ce temps, la planète tourne et le monde avance. Bon ! Je sais ce que vous pensez, que vient nous baratiner un vulgaire joueur de oud avec ces considérations qui le dépassent amplement ? Je suis d’accord avec vous et je m’arrête là.

Ce bon commissaire a donc déclaré sous serment que "son lieutenant était un type en réalité mal dans sa peau, surtout en présence des femmes occidentales - il répugnait d’ailleurs à travailler avec des collègues femmes - et quand cette journaliste a déboulé dans son enquête puis fait du rentre dedans pour arracher des informations, notre lieutenant n’a plus su où il habitait. Il s’est vu beau avec cette prestigieuse femme européenne accrochée à son bras. Mais quand elle n’a plus eu besoin de lui, parce qu'il avait lâché tout ce qu'elle avait besoin de savoir, elle l’a plaqué. Ce malheureux garçon ne l'a pas supporté et l’a étranglée en pleine crise aiguë de jalousie".

Tout était simple pour ce commissaire décidément peu sympathique à mes yeux. Plus je l’écoutais et moins je gobais ses explications. Non pas tant à cause de Sofiane que je ne connaissais pas, mais parce que la façon éhontée dont il parlait de Marie ne correspondait en aucune façon à la personne que j’avais connue. L’avocat de la défense, qui n’avait pu entrer véritablement en contact avec Sofiane parce que celui-ci refusait de lui parler, ne s’apercevant même pas de sa présence, plaida coupable avec circonstances atténuantes, de s'être fait “avoir” par cette journaliste peu scrupuleuse. Le procès était carrément surréaliste. Je le pressentais sans être capable de le démontrer. Sofiane Saïdi en prit pour trente ans de réclusion criminelle. Vu le déroulement du procès, rien de plus normal. Les choses étaient rentrées dans l’ordre et justice était passée. C’était mérité. Or, une fois revenu à Paris, mon malaise s’accentua au fur et à mesure que je repensai à son développement. Alors je commençai à fouiller dans les affaires de Marie. Puis, une décision s’imposa d’elle-même, il me fallait rencontrer Sofiane Saïdi. Je fis les démarches nécessaires et allai le voir régulièrement pendant un an, chaque deux mois, à la prison où il avait été transféré pour purger sa longue peine, dans les environs de Madrid. Les débuts de notre relation furent laborieux. Je devais le convaincre de ma bonne foi en exposant mes doutes. Je lui parlai longuement de ma relation antérieure avec Marie et surtout, je lui dévoilai le contenu des documents que Marie m’avait confiés pour qu’il acceptât de s’ouvrir à moi. Enfin je lui fis part de mon intention de finaliser le livre sur lequel Marie travaillait et d’y ajouter son histoire, leur histoire, pour lui donner peut-être une base susceptible de remettre son procès en question. Sofiane finit par s'amadouer et accepta de coopérer. Il promit d'écrire sa version des faits et tint sa promesse. Je vous la livre telle qu'il me la fit parvenir. Nous convînmes de garder tout cela secret et de ne prendre aucun risque avant la sortie du livre.

Publicité
Commentaires
Tout en part, tout y revient/ roman dédié à l'antique mosquée de Cordoue
  • roman trépidant et original qui s'attache aux questions très actuelles de la tolérance et de l'extrémisme religieux. Des personnages attachants sont aux prises avec un monde de plus en plus tentaculaire et nous rappelle que l'intolérance ne vient pas uniq
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Newsletter
Publicité