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Tout en part, tout y revient/ roman dédié à l'antique mosquée de Cordoue
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Tout en part, tout y revient/ roman dédié à l'antique mosquée de Cordoue
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13 novembre 2010

Première visite

Extrait N° 1 du roman "Tout en part, tout y revient" de Pierre Ferin chez Publibook.

(Le lieutenant de police stagiaire Sofiane Saïdi vient d'arriver à Cordoue pour poursuivre son enquête. Il pénètre pour la première fois dans la mosquée de Cordoue)

interieur_mosquee_cordoue

A peine eut-il fait ces quelques pas qu’un silence imposant l’enveloppa. Il se retrouvait absolument seul. Il foulait l’antique sol carrelé à pas feutrés, du bout des pieds, sans penser à rien, quand il sentit un léger frisson parcourir son corps entier, comme s’il l’avait aspiré. Cette perception discrète alla se nicher quelque part sous son crâne. Puis se produisit une sorte d’halètement qui s’empara de lui, vibrant à l’unisson de sa respiration en plein emballement. Je ne fais ici que restituer ce que lui-même m’a décrit. Cette mosquée lui fichait la chair de poule pour tout dire. Elle le stupéfiait, le bouleversait, le malmenait depuis l’instant où il y avait mis le pied, alors qu’il ne s’y attendait pas et ne s’y était nullement préparé. Il encaissa de véritables chocs qui le mirent dans des états seconds. Les enfilades de colonnes couraient à perte de vue, reliées par des arcs doubles striés en rouge et blanc, comme si cet espace ignorait la limite, comme si le temps ici était insignifiant. Il se tut, les mots lui manquèrent pour me décrire les sensations qui l’étreignirent et il s’excusa de ne pas arriver à me transmettre la profondeur de son émotion. Planté au milieu de cette forêt de colonnes de marbre avec leurs arcs sublimes au-dessus de sa tête, il se sentit transpercé par le souffle des siècles passés qui s’engouffrait en lui depuis la plante de ses pieds. Dans quelque direction qu’il se tournât, les piliers étaient disposés dans un ordonnancement si parfait, si harmonieux, de manière si exacte, pour susciter une vision de beauté à l’état pur, qu’il en émanait une force et une sérénité inimaginables. Cette perspective faite de la succession d’arcs polylobés, d’arcs en fer à cheval qui tantôt s’entrecroisaient, tantôt se superposaient était proprement hallucinante, d’autant qu’ils surgissaient de la profondeur du puits du temps. Un tremblement croissant l’avait saisi au fur et à mesure qu’il s’enfonçait dans cette forêt cependant qu’une sensation de plénitude réconfortait et même annihilait son sentiment de solitude récent. La température était douce, idéale. La conformité des lieux se voulait plutôt rassurante et cependant ses tempes tempêtaient, son cœur époustessouflé battait à tout rompre, son ventre se trouvait comme enserré par des sangles de déménageurs comme jamais cela ne s’était produit en lui jusqu’alors, même pas le jour du concours de lieutenant de police, quand, à l’instant d’entrer dans le local, il n’en menait pas large au point de manquer s’évanouir. Sa bouche bée depuis son entrée dans la mosquée exprimait l’extase sans retenue. Cette visite fut comme un filet jeté par le sort ou le destin ou un quelconque esprit malin d’un lointain ancêtre sur son individualité et prétendue liberté. Sofiane ressentait encore à l’identique cette émotion, des mois plus tard, quand je l’ai rencontré. Elle l’aide même à survivre finalement, aujourd’hui, comme s’il avait été en attente de cet instant depuis des siècles. En s’enfonçant lentement au plus profond de ces colonnes, ébahi par la coloration binaire lancinante, il découvrit soudain une imbrication de signes chrétiens immergés dans l’architecture mauresque. Ici, une gigantesque croix affublée de son corps sanguinolent, pardon pour mon interprétation, se nichait sous une arabesque. Plus loin, un portrait peint d’un saint occupait un écrin similaire. Puis, tout naturellement, ses pas l’emmenèrent jusqu’au mihrab. Il était protégé par une barrière de barreaux épais en fer forgé torsadé très resserrés qui se terminaient par des pointes en forme de flèches. C’était une niche toute simple couronnée d’une coupole aux arcs trilobés en feuille de trèfle, supportée par des colonnes en marbre et des chapiteaux d’or et entourée de versets du Coran en lettres d’or calligraphiées. De cette simplicité émanait une infinie beauté dont la puissance toucha Sofiane jusqu’aux tréfonds de son être comme si ces vestiges antiques remuaient ses gènes. Mais qui resterait de marbre devant une telle merveille ? En pleine contemplation, il fut intrigué par un bruit à peine perceptible, comme celui d’un glissement furtif. Il se retourna et vit une jeune fille en hijab qui s’approchait. Arrivée à quelques mètres du mihrab, elle se déchaussa et se prosterna en direction de la Mecque. Sofiane retint son souffle comme pétrifié. Un gardien surgit de derrière une colonne et força la jeune fille à se relever, puis la repoussa jusqu’à la sortie. A quelques mètres plus loin à peine, Sofiane pouvait apercevoir dans la même perspective une jeune fille agenouillée devant un autel chrétien serti dans une voûte mauresque, priant les mains jointes la représentation de Jésus cloué sur la croix.

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Commentaires
Tout en part, tout y revient/ roman dédié à l'antique mosquée de Cordoue
  • roman trépidant et original qui s'attache aux questions très actuelles de la tolérance et de l'extrémisme religieux. Des personnages attachants sont aux prises avec un monde de plus en plus tentaculaire et nous rappelle que l'intolérance ne vient pas uniq
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